
La discrimination dans les achats publics demeure un enjeu majeur, malgré un cadre juridique strict. Les acheteurs publics doivent garantir l’égalité de traitement entre les candidats, sous peine de sanctions. Cet encadrement vise à promouvoir une concurrence loyale et à optimiser l’utilisation des deniers publics. Pourtant, des pratiques discriminatoires persistent, nécessitant une vigilance accrue et des mécanismes de contrôle renforcés. Examinons les sanctions applicables et les moyens de prévenir ces dérives dans la commande publique.
Le cadre juridique de la non-discrimination dans les marchés publics
Le principe de non-discrimination constitue un pilier fondamental du droit des marchés publics, tant au niveau national qu’européen. Il découle directement des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égal accès à la commande publique.
En France, le Code de la commande publique consacre expressément ce principe à l’article L3. Il impose aux acheteurs publics de traiter de manière égale tous les opérateurs économiques et de s’abstenir de toute discrimination dans la passation et l’exécution des marchés.
Au niveau européen, les directives 2014/24/UE et 2014/25/UE sur les marchés publics renforcent également les exigences en matière de non-discrimination. Elles visent à garantir une concurrence effective et à prévenir toute distorsion dans l’attribution des contrats publics.
Ce cadre juridique prohibe notamment :
- Les discriminations fondées sur la nationalité
- Les spécifications techniques favorisant certains opérateurs
- Les critères de sélection disproportionnés
- L’utilisation abusive des procédures négociées
Les acheteurs publics doivent ainsi veiller à l’objectivité et à la transparence de leurs procédures à chaque étape, de la définition du besoin jusqu’à l’attribution du marché.
Les principales formes de discrimination dans les achats publics
Malgré l’encadrement juridique, diverses formes de discrimination persistent dans la pratique des marchés publics. Elles peuvent intervenir à différents stades de la procédure et revêtir des formes plus ou moins subtiles.
Lors de la définition du besoin, certains acheteurs peuvent être tentés de rédiger des cahiers des charges sur-mesure, favorisant implicitement un opérateur économique. Par exemple, en imposant des spécifications techniques très précises correspondant aux produits d’un fournisseur particulier.
Au stade de la sélection des candidatures, des critères disproportionnés peuvent écarter injustement certaines entreprises. C’est le cas lorsqu’on exige un chiffre d’affaires minimum sans rapport avec l’objet du marché, pénalisant ainsi les PME.
Lors de l’analyse des offres, des pratiques discriminatoires peuvent se manifester par :
- L’application inégale des critères d’attribution
- La prise en compte d’éléments non prévus dans le règlement de consultation
- Des notations arbitraires ou non justifiées
Enfin, la phase d’exécution du marché n’est pas exempte de risques. Des modifications substantielles du contrat initial ou l’octroi de prestations supplémentaires sans mise en concurrence peuvent constituer des discriminations a posteriori.
Ces pratiques, qu’elles soient intentionnelles ou non, faussent la concurrence et portent atteinte à l’égalité de traitement entre les opérateurs économiques. Elles exposent les acheteurs publics à des sanctions et compromettent l’efficacité de la commande publique.
Les sanctions administratives et pénales encourues
Les pratiques discriminatoires dans les marchés publics exposent leurs auteurs à un large éventail de sanctions, tant sur le plan administratif que pénal.
Sur le plan administratif, le juge du référé précontractuel peut être saisi avant la signature du contrat pour faire cesser les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Il dispose de pouvoirs étendus :
- Annulation de la procédure
- Suppression des clauses discriminatoires
- Injonction de recommencer la procédure
Après la signature du contrat, le référé contractuel permet au juge de prononcer la nullité du marché ou d’imposer des pénalités financières à l’acheteur public.
Les juridictions financières, notamment la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, peuvent également sanctionner les irrégularités dans la passation des marchés publics. Elles peuvent infliger des amendes aux ordonnateurs et comptables publics ayant méconnu les règles de la commande publique.
Sur le plan pénal, plusieurs infractions sont susceptibles de s’appliquer :
Le délit de favoritisme (article 432-14 du Code pénal) punit de 2 ans d’emprisonnement et 200 000 € d’amende le fait de procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics.
La prise illégale d’intérêts (article 432-12 du Code pénal) sanctionne le fait pour un agent public de prendre, recevoir ou conserver un intérêt dans une entreprise dont il a la charge d’assurer la surveillance ou l’administration.
Ces infractions peuvent être assorties de peines complémentaires comme l’interdiction d’exercer une fonction publique ou l’exclusion des marchés publics.
Les mécanismes de prévention et de contrôle
Face aux risques de discrimination, divers mécanismes de prévention et de contrôle ont été mis en place pour garantir l’intégrité des procédures de marchés publics.
En amont, la formation des acheteurs publics joue un rôle crucial. Elle permet de sensibiliser aux enjeux de la non-discrimination et de diffuser les bonnes pratiques. L’Agence française anticorruption (AFA) propose notamment des guides et des formations sur la prévention des atteintes à la probité dans la commande publique.
La dématérialisation des procédures, rendue obligatoire pour la plupart des marchés depuis 2018, contribue également à renforcer la transparence et à réduire les risques de discrimination. Elle facilite l’accès des entreprises à la commande publique et permet un meilleur suivi des procédures.
Le développement des centrales d’achat et des groupements de commandes participe aussi à la professionnalisation de l’achat public et à la mutualisation des bonnes pratiques.
En termes de contrôle, plusieurs instances interviennent :
- Les commissions d’appel d’offres pour les collectivités territoriales
- Le contrôle de légalité exercé par les préfectures
- Les missions d’inspection des ministères
- L’Autorité de la concurrence pour les pratiques anticoncurrentielles
Ces différents niveaux de contrôle visent à détecter et sanctionner les éventuelles pratiques discriminatoires tout au long de la chaîne de l’achat public.
Vers une culture de l’intégrité dans la commande publique
Au-delà des sanctions et des contrôles, la lutte contre la discrimination dans les marchés publics passe par l’instauration d’une véritable culture de l’intégrité au sein des organisations publiques.
Cette approche implique tout d’abord un engagement fort de la hiérarchie. Les dirigeants doivent clairement affirmer leur attachement aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, et veiller à leur application effective à tous les niveaux.
La mise en place de chartes éthiques et de codes de déontologie spécifiques à la fonction achat peut contribuer à formaliser ces engagements et à guider les pratiques quotidiennes des agents.
Le développement de dispositifs d’alerte interne, conformément aux obligations de la loi Sapin II, permet également de favoriser la remontée d’informations sur d’éventuelles pratiques discriminatoires.
La transparence des procédures constitue un autre levier majeur. La publication systématique des données essentielles des marchés, au-delà des obligations légales, renforce la confiance des opérateurs économiques et facilite le contrôle citoyen.
Enfin, l’adoption de pratiques innovantes comme le sourcing ou les consultations préalables du marché, lorsqu’elles sont menées de manière ouverte et transparente, peuvent contribuer à élargir le panel des fournisseurs potentiels et à réduire les risques de discrimination.
En définitive, la lutte contre la discrimination dans les marchés publics nécessite une approche globale, combinant cadre juridique strict, mécanismes de contrôle efficaces et promotion d’une culture de l’intégrité. C’est à ces conditions que la commande publique pourra pleinement jouer son rôle d’outil au service de l’intérêt général et du développement économique.
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